« Sport et Musique I » : « Riadha oua nagham »

« Sport et Musique I » : « Riadha oua nagham »

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Le temps file, et le souvenir des premiers billets relatifs au sport et à la culture — lus jusqu’au bout par au moins une quinzaine de personnes en dehors des collaborateurs de Misk et de leurs proches parents — commence déjà à s’estomper, donc il est largement temps de livrer à vos yeux sagaces un nouveau billet. Pardonnez ce délai inhabituel, dû en partie à la tristesse d’avoir perdu un authentique passionné de sport, doublé d’un homme d’État et d’une sommité dans son domaine, le Docteur Brahim Gharbi, à qui votre serviteur doit indirectement la vie, et qu’il trouva toujours aimable et disponible. Qu’il repose en paix, avec toute ma gratitude. Je m’essuie les yeux et vous retrouve au paragraphe suivant.

 

Vu qu’on est une radio, en matière de sport on va parler musique ; et vu qu’on émet à Tunis, en matière de sport on va parler football. Oui, encore du football, alors que la malheureuse Azza Besbes se plaint, comme avant elle Malek Jaziri ou Oussama Mellouli (et des dizaines d’autre, mais ceci est une chronique, pas un annuaire) d’être livrée à elle-même alors que certains de nos footballeurs nous ridiculisent jusqu’en Arabie Saoudite. Mais en même temps, hormis les sports collectifs, j’ai rarement entendu chanter pendant des compétitions de patinage artistique ou de tennis (je crois d’ailleurs que cela y est interdit). Et qui dit sport collectif, surtout de par chez nous, dit par la force des choses football — d’ailleurs si nos clubs n’étaient pas omnisports, je doute que certaines disciplines — pourtant athlétiquement irréprochables — attirent d’autres spectateurs que les familles des joueurs…

Football, donc. On a pensé à parler natation, notez, vu qu’on s’est offert un bassin privé à la radio, mais bon, on chante rarement autour des piscines olympiques. À part mon pote Mansour le jour où il a gagné au Promosport et qu’il est allé valider son bulletin gagnant, mais c’est une autre histoire et je ne crois pas qu’elle vous intéresse. Football, et musique, puisque c’est sur la page de Misk que vous lisez cela et pas ailleurs.

 

Depuis la nuit des temps, soit l’entre-deux-guerres mondiales en Tunisie vu qu’avant il n’y avait pas de sport qui se pratique chez nous de façon organisée comme on l’entend aujourd’hui, le sport et la musique font cause commune. D’abord et avant tout, parce qu’à l’origine, avant d’être un ramassis de voyous sur le terrain et dans les gradins, rendus — parfois… – riches au-delà de leurs espérances pour les premiers et instrumentalisés pour les seconds par des forces qui les dépassent et des ambitions qui pourrissent tout, à l’origine donc, le sport dans notre beau pays était et servait une cause noble. Celle d’un corps sain dans un esprit sain, et de l’émancipation ou de la promotion de la population, celle-là même qu’aujourd’hui il sert à endormir.

Les fondateurs, donc, les jeunes lettrés dynamiques qui fondèrent les premières associations sportives, les premiers clubs tunisiens furent les mêmes qui posèrent les premières pierres des associations culturelles et musicales. Le Club Africain et la Rachidia ont ainsi un ADN commun de par leurs fondateurs communs. Souvent, les clubs sportifs avaient une section de poésie, une troupe de théâtre, incluaient pour le développement de l’esprit les échecs parmi leurs disciplines (je parle bien du jeu de réflexion, n’y voyez pas un autre de mes calamiteux jeux de mots) et organisaient des galas ou des concours de déclamation. Souvent aussi, les acteurs de la vie musicale tunisienne s’associaient aux associations sportives (Chafia Rochdi, pour ne citer qu’elle, ‘marraina’ les finances du Club Africain). Car l’idée commune était bien de faire avancer les choses en proposant de saines distractions au peuple, et en profiter pour défier le protectorat sur son propre terrain. Le football avait servi en Europe à garder les ouvriers loin des meetings, il allait servir en Afrique à canaliser les masses, mais ceci est une autre histoire.

La spécificité de cette alliance entre socio-identitaire, culturel et sportif à destination des masses n’est d’ailleurs pas tunisienne. Elle se retrouve dans quasiment toutes les colonies à la même époque, même chez les malheureux qui furent sous le joug de l’Italie, encore plus nocif que celui du couple franco-anglais. Pour ne mentionner qu’eux, Al Ahly, le ‘National’ cairote, fut au départ conçu comme un ‘club’ à l’anglo-saxonne, soit un lieu de rencontre et un espace de discussion (il l’est d’ailleurs toujours, même si le sport y a pris le dessus sur le reste). Le Mouloudia d’Oran fut lui créé en tant que troupe folklorique (‘chabab el baroud oual karabila’). Et les premiers clubs ghanéens, à l’époque de la Côte d’Or (… le pays, pas le chocolat. Suivez, s’il vous plaît), se voulaient une référence directe à la culture africaine, tel l’Asanthi Kotoko qui règne toujours à Kumasi.

 

Mais cette symbiose entre sport et mélodie n’est pas non plus propre aux colonies ni aux nations colonisées : Pierre de Coubertin, le refondateur de l’olympisme, inclut la poésie au concours des jeux. Il remporta même une médaille d’or — sous pseudonyme, afin d’éviter toute influence que son nom aurait pu avoir ; les temps ont changé depuis… Et chez nous, le public n’a retenu de cette époque pionnière que l’aspect le plus discutable des ‘Askar Ellil’, soit le pugilat...

Avant de revenir plus en détail sur le public et les chanteurs ou joueurs en d’autres chroniques qu’il me soit permis de conclure cette première partie en rappelant ce que les plus perspicaces auront perçu, à savoir que l’intitulé de cette chronique est un hommage à la meilleure synthèse qui fut faite en Tunisie de ce couple sport et musique. Soit à l’époque où le transistor régnait (pour reprendre la formule de Hatem Bourial), l’intitulé tout simple ‘Riadha oua nagham’, associant sport et musique, donné par Abdelmajid Msellati à son émission dominicale de référence, celle qui tenait le pays en haleine à l’écoute des retransmissions des matches, lesquelles étaient entrecoupées de pauses musicales — qui ne purent hélas que rarement adoucir les mœurs.